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Wednesday, October 3, 2018

Redoine Faïd, évadé près de chez lui

Le fugitif interpellé ce mardi mardi matin à Creil (Oise) où il a grandi a toujours bénéficié du soutien de son clan familial. Récit.


Un peu plus de trois mois après sa spectaculaire évasion par hélicoptère de la prison de Réau (Seine-et-Marne), le braqueur Redoine Faïd a été arrêté vers 4 heures du matin ce mercredi dans la ville où il a grandi, Creil (Oise). L’interpellation s’est déroulée sans incident, selon une source proche de l’enquête. 
Quatre autres personnes ont également été arrêtées par la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) et l’Office central de lutte contre le crime organisé : l’un de ses frères Rachid Faïd ainsi que deux hommes et une femme, selon la même source confirmant une information de BFMTV et Europe 1. Deux armes de poing ont été retrouvées lors de cette opération.
Redoine Faïd a été condamné en avril à vingt-cinq ans de prison pour son rôle d'«organisateur» dans un braquage raté en 2010, qui avait coûté la vie d'une policière municipale, Aurélie Fouquet. Le 1er juillet, en quelques minutes à peine, il s’était évadé, aidé par un commando armé qui avait auparavant pris en otage un pilote d’hélicoptère. Surnommé le roi de l’évasion, Faïd s’était déjà évadé le 13 avril 2013 en moins d’une demi-heure de la prison de Lille-Sequedin, en prenant quatre surveillants en otage, qu’il avait utilisés ensuite comme boucliers humains. Il avait été repris six semaines plus tard en région parisienne. «Habitué à la cavale», le fugitif a été présenté par la police judiciaire comme un «individu dangereux». Retour sur sa trajectoire, dans laquelle son clan joue un rôle clé.

«Le grand patron» 

C’est un banal cliché en noir et blanc, celui d’une brochette de footballeurs à l’air réjoui. Accroupi au premier rang, un jeune homme affublé d’un maillot siglé «Meubles Coveco» pose fièrement avec ses coéquipiers de l’AS Creil. Nous sommes en 1980. Rachid Faïd a 22 ans, des cheveux bruns en bataille et un demi-sourire un peu flottant. Aujourd’hui, il en a 60 et sa photo était jusqu’à ce mercredi matin sans doute placardée dans tous les commissariats de France. Il était recherché depuis qu’il a été aperçu au côté de son frère cadet, Redoine Faïd. Ce dernier s’était enfui de la prison de Réau le 1er juillet par la voie des airs : un petit tour (d’hélicoptère) et puis s’en va. Depuis, il était dans la nature. Métaphoriquement, du moins.
D’après les enquêteurs à ses trousses, le 24 juillet, il errait plutôt en plein bitume. Ce jour-là, une patrouille de gendarmes a bien failli le coincer. Ils ont tenté de contrôler deux types dans une station-service de Piscop, à une quinzaine de kilomètres de Paris. Mais ces derniers ont pris la tangente. Une course-poursuite s’est alors engagée jusque dans le parking souterrain d’un centre commercial de Sarcelles (Val-d’Oise). Là, les enquêteurs ne retrouveront qu’une Renault Laguna abandonnée avec «six pains de plastic» dans le coffre et un jeu de fausses plaques d’immatriculationLes fuyards ont laissé un autre souvenir : leur ADN. Signé Redoine et Rachid Faïd.
On repense aux mots des juges Sommerer et Baudoin, chargés de l’instruction du braquage avorté ayant conduit à la mort de la policière Aurélie Fouquet en 2010, pour lequel Redoine Faïd purgeait une peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle à Réau (il s’est pourvu en cassation) : un «clan Faid très soudé», écrivaient-ils dans leur ordonnance de renvoioù «Redoine Faïd était surnommé notamment par son frère Rachid "le grand patron"». Il y a longtemps, «le grand patron» était juste un petit garçon, vivant dans appartement HLM du quartier de Guynemer à Creil (Oise) avec ses frères et sœurs. Ses parents, originaires d’un petit village du sud d’Alger, ont eu huit garçons et deux filles. Pendant son enfance, Redoine a partagé sa chambre – ainsi que ses premières entorses au code pénal – avec Faycal. Les deux frangins se sont lancés ensemble dans le larcin sucré. Ils ont 6 et 8 ans quand ils chapardent des confiseries dans un centre commercial. Le soir où ils ont été attrapés, ça a été le feu d’artifice à la maison, explosion de coups de ceinture. «Mon père nous a pardonné en pensant que c’était des conneries de gosses…» écrira Redoine Faïd dans son autobiographie Braqueur, parue en 2010 pendant sa libération conditionnelle.
Si depuis ses 12 ans, il a entrevu avec lucidité que «le vol, (il) en fera (s)on métier», il a tout de même opté pour quelques petits boulots plus conventionnels : la vente sur les marchés de Creil, la construction d’hôtels à Disneyland avec son frère Rachid, ou encore agent d’escale à Roissy. Il se décrit comme le seul voyou de la famille : «Tout le monde était honnête. Mon frère Abdeslam a eu un bac C, ma sœur Leila a fait des études de droit. Mes frères Rachid et Djamel ont travaillé toute leur vie. Mon frère Abderrahmane a fait des études en Irak. Il vit maintenant en Algérie où il est professeur de mathématiques dans une université. Mon frère Faycal qui a deux ans de plus que moi, a été à la fac de droit.» Certes. ça n’a pas empêché ce dernier d’avoir un casier garni… Après la fauche de bombecs, Faycal sera le partenaire de casses de jeunesse. Jusqu’au basculement final. En 2010, il s’envole pour l’Algérie juste après le braquage raté ayant conduit à la mort de la policière municipale. Pour s’occuper de son père malade, a-t-il justifié. La justice a plutôt considéré qu’il avait pris la poudre d’escampette après les faits (son ADN a été retrouvé sur la scène de crime). Il sera acquitté lors d’un procès en Algérie. Avant que la décision ne soit annulée par la Cour suprême à cause de «quiproquos» et de «loupés». Finalement, en juillet 2017, il écope d’une peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle. Son frère désigné comme le «cerveau» de l’opération (ce qu’il a toujours nié) soutiendra avec aplomb devant la cour d’assises : «Il n’était pas de ma génération, je ne le fréquentais pas.»

Drame, masques et cinéma

Revenons à la fratrie Faïd, dont Redoine est l’avant-dernier. Elle s’est soudée autour d’un drame : le cancer et la mort de leur mère en 1990, le jour de Noël. «Son décès a déstabilisé toute la famille, il a eu l’effet d’une tempête», écrit Redoine Faïd. A l’époque, il a 18 ans, son père a quitté le domicile depuis deux ans pour passer sa retraite en Algérie, alors il part vivre chez sa sœur Assia qui a cinq enfants. «A partir de là, je me suis foutu de la vie», poursuit Redoine Faïd. Il braque comme il respire. D’abord, en 1990, un Crédit du Nord dont il repart avec 240 000 francs. Il s’inspire du film Mesrine pour les dialogues… Ensuite, il la joue comme dans Point Break en déboulant avec plusieurs comparses sous des masques d’anciens présidents (François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac…) au domicile d’un directeur de banque. «Merci, Merci beaucoup d’avoir voté pour moi !» paraphrase-t-il en sortantEn quelques coups parfaitement maîtrisés, mêlant bagout et sang-froid, le petit voleur de bonbons se mue en «braqueur autodidacte».
On peut dire que l’apprentissage a commencé dans le salon familial. «Pourquoi mon grand frère à l’âge de mes 10 ans, en 1982, a mis en vidéo le film Le Solitaire de Michael Mann et m’en a fait tout un éloge ? Hasard, destin, goût… je ne sais pas. Mais ce qui est sûr c’est que je me suis identifié au film. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je me suis mis à visionner le Solitaire non pas comme un film mais comme une leçon de cambriole, un documentaire, un reportage, sur ce qu’il fallait faire ou pas faire lorsque tu veux apprendre à être un bandit», écrit Redoine Faïd dans un courrier de 2009 probablement destiné au réalisateur Michael Mann et retrouvé sur son ordinateur. Il expliquera encore chercher sur grand écran la «quintessence du braquage sans laisser d’indices». Son aîné Abdeslam confirmera aux magistrats : «Il avait une passion pour le football et le cinéma. Il lui arrivait de reprendre les scènes des films qui lui plaisaient et on avait une heure de spectacle.» Comme Rachid, Redoine Faïd joue à l’AS Creil. Pour l’anecdote, le braqueur y piochera quelques-uns de ses compagnons de cambriole dont son entraîneur Jean-Claude Bisel, complice de la première heure et de la dernière (il est mis en cause dans le dossier Fouquet). Le môme cinéphile a donc fini par prendre la place de ses héros voyous. Il déménage dans un luxueux appartement de Chantilly, Rolex au poignet et belle bagnole garée en bas.

Self-made-man

«Mon frère Faycal qui me voit tout le temps avec plein de fric, insiste lourdement pour m’accompagner. Il me casse tellement les couilles que j’accepte», raconte Redoine Faïd dans ses mémoires. Nous sommes en 1995, les deux frères – et d’autres comparses de Creil – s’embringuent dans le kidnapping d’un gérant de société pour lui dérober des composants électroniques. Sauf que cette fois, ça tourne au vinaigre. Faycal qui gardait la famille en otage est attrapé. C’est sa première garde à vue. Suivie d’une incarcération à Fresnes. Redoine Faïd, lui, part en cavale. Il sera arrêté trois ans plus tard (le tribunal correctionnel de Créteil condamnera Faycal à cinq ans d’emprisonnement et Redoine à six dans ce dossier). La police découvre enfin celui dont l’avis de recherche a longtemps été placardé partout. Ils pensent d’abord à un second couteau, un petit caïd de banlieue au service de gros bonnets, avant de se rendre compte qu’ils ont affaire à self-made-man du braquo.
 
Celui que l’on surnomme tantôt Pixie en référence au joueur de football yougoslave ou «Doc», le surnom de Steve McQueen dans Guet-apens,voit alors son casier judiciaire se noircir comme un ciel d’orage. Les peines tombent au gré des différents procès. A la fin d’une audience, en 2003, pour trois affaires de saucissonnage, Rachid, visage ému et ton vindicatif, se désespère face caméra de la lourdeur de la sanction infligée par les jurés : «Alors qu’il n’y a pas d’effusion de sang du tout, on lui met vingt-six ans. Mais c’est quelle justice ? Je ne comprends pas.»

Chemise couleur rédemption

L’ellipse à l’ombre durera dix ans. Lorsque Redoine Faïd sort en 2009 en libération conditionnelle, Rachid est toujours à ses côtés. Il lui dégote un travail chez Stéphane S, un ami qui l’embauche comme employé commercial et administratif (et qui finira par le surnommer «Casper» tant l’ancien détenu multiplie les absences, accaparé par l’écriture de son livre…). Après la publication, Redoine Faïd enchaîne les plateaux télé et jure ses grands dieux qu’on ne l’y reprendra plus. Chemise couleur rédemption et veste de costard, il clame que c’en est bien fini des conneries. Son frère Abdeslam confirmera à la justice : «Il s’est complètement reconverti et j’en suis témoin car je l’ai accompagné.» Sauf qu’en 2011, le braqueur est interpellé dans le cadre de l’enquête sur la mort de la policière municipale. Retour derrière les barreaux. Une fois encore, la fratrie reste soudée. «Le parloir c’est le médicament qui soigne la grande douleur de l’incarcération», comme dit Redoine Faïd. C’est aussi la voie la plus sûre vers la sortie. En 2013, il avait rendez-vous avec son frère Abdeslam quand il s’est fait la belle de Sequedin, explosant cinq portes sur son passage et prenant les surveillants en otage. La scène se répète presque à l’identique, le 1er juillet, alors qu’il est avec son frère Brahim, au parloir à Réau. Redoine Faïd, lecteur de l’écrivain révolutionnaire et géographe russe Kropotkine, a une fois de plus appliqué sa maxime favorite : «La liberté ne se donne pas, elle se prend.» Elle vient de lui être reprise, ce mercredi matin dans son fief de Creil.

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